Très active depuis son arrivée dans notre pays, l’ambassadrice de l’Union européenne (UE) au Gabon, pour Sao Tomé-et-Principe et la CEEAC, S.E. Mme Rosario BENTO PAIS, se distingue par son esprit d’ouverture envers les décideurs et partenaires sociaux. Elle marque de ce fait une nette différence avec ses prédécesseurs souvent resté muet sur certaines questions. La rédaction de Mediaposte a recueilli de sa part quelques propos sur sa gestion de certains dossiers poignants lors d’une interview exclusive.
Mediaposte : Madame l’ambassadrice où en êtes-vous avec les consultations auprès de la société civile concernant le Programme indicatif multi-annuel 2021-2027, et pourquoi y avoir songé ?
Rosario BENTO PAIS : La programmation dans le cadre du Partenariat avec le Gabon 2021-2027 est en cours. Nous sommes en train d’élaborer le programme indicatif multi-annuel de l’Union européenne pour la période 2021-2027. Les consultations avec les différents partenaires et bénéficiaires font naturellement partie du processus.
C’est pourquoi nous avons déjà lancé les consultations avec la société civile, le Gouvernement et les partenaires internationaux. En ce qui concerne la société civile, et compte tenu des restrictions sanitaires actuelles, nous avons d’abord procédé à un sondage en ligne qui nous a donné des retours et avis très intéressants avec une cinquantaine de réponses sur les premières propositions et sur notre mode de coopération au Gabon.
Puis, nous avons organisé début janvier une séance de présentation et de questions/réponses en présentiel et en ligne, à laquelle plus de 50 personnes de différentes organisations et associations ont participé. Le résumé des échanges et les présentations sont disponibles sur notre site internet. En tout état de cause, la société civile est pour l’Union européenne un acteur très important de développement et de gouvernance.
Les organisations de la société civile incarnent et favorisent le pluralisme et peuvent contribuer à une efficacité accrue des politiques, à un développement équitable et durable et à une croissance inclusive.
Mediaposte : Le dialogue intensifié Gabon-UE impliquant les forces vives de la nation qui s’est tenu récemment, n’est-ce pas là une opération de séduction envers le Gabon après une période froide due à des divergences de vues sur les troubles post-électoraux de 2016 ? Sinon quel est le but de ce dialogue ?
Rosario BENTO PAIS : Conformément à l’Accord de Cotonou qui lie l’Union européenne et les 79 pays de la zone Afrique-Caraïbe-Pacifique, il y a une différence entre le dialogue politique normal, consultation bilatérale courante entre les parties prenantes, et le Dialogue politique intensifié, sur la base de l’article 8 de l’Accord, qui avait été enclenché après l’élection présidentielle de 2016 et suspendu en septembre 2017. Il a été relancé en juillet 2019 et il s’est conclu en décembre 2019.
La session du dialogue politique qui s’est tenu le 27 janvier 2021 entre l’UE et le Gouvernement du Gabon et que j’ai eu le plaisir de coprésider avec Mme le Premier Ministre, a permis d’échanger sur tous les sujets d’intérêt commun, comme énoncé à l’article 8 du même Accord, de discuter des priorités des deux parties, et notamment des priorités partagées, qui sont nombreuses. Ce processus de dialogue a pour but de contribuer à la paix, à la sécurité et à la stabilité et à la promotion d’un environnement politique stable et démocratique dans tous les pays signataires de l’Accord de Cotonou.
Le dialogue a également porté sur les perspectives de la coopération entre l’Union européenne et le Gabon, y inclus, sur les enjeux liés à l’environnement, au changement climatique, aux droits de l’Homme, à la bonne gouvernance, et à la lutte contre la corruption.
Mediaposte : Lors de votre rencontre avec Dr. Guy Patrick Obiang Ndong, le ministre de la Santé vous avez eu à féliciter le Gabon suite à sa riposte efficace contre la covid-19, quel est l’apport concret de l’UE pour venir en aide au Gabon ?
Rosario BENTO PAIS : Malgré la reprise récente de l’épidémie au Gabon, après une décrue jusqu’à mi-novembre 2020, on peut considérer que l’épidémie est globalement restée sous contrôle et que les politiques menées ont contribué à empêcher que la maladie se diffuse massivement dans la population, sans doute épargnée également par d’autres facteurs, comme sa jeunesse. Mais l’Union européenne n’a pas manqué non plus à son devoir de solidarité et s’est tenue aux côtés du Gabon durant cette période difficile, qui n’est pas encore achevée.
Parmi les interventions de l’Union européenne et de ses Etats membres, menées depuis mars 2020 dans un esprit d’équipe Europe en vue d’une meilleure cohérence et d’un impact plus fort, je citerais quelques exemples d’actions qui ont contribué au renforcement du système sanitaire en vue d’appuyer la riposte du Gabon contre la pandémie COVID-19.
L’équipe Europe, avec notamment la participation de l’Ambassade d’Espagne a appuyé le CHU Fondation mère-enfant Jeanne Ebori de Libreville en la soutenant, en coordination et collaboration avec le Comité de Pilotage (COPIL) en charge de la lutte contre la pandémie avec un financement à hauteur de 66 millions FCFA, par la fourniture d’équipements sanitaires d’urgence, matériel de protection du personnel, fourniture de mobilier et du matériel informatique.
Une formation de 2 semaines aux sapeurs-pompiers a été financée par l’UE en collaboration avec la France et dispensée par Expertise France (avec la mise à disposition du formateur d’Expertise France). Cette formation est intervenue dans le cadre de l’initiative européenne des centres d’excellence NRBC dont le Gabon est bénéficiaire depuis 2013 avec un appui atteignant 2.7 M EUR. Elle a eu pour objectifs de renforcer les capacités des premiers intervenants en cas d’incidents NRBC et dans la gestion des crises épidémiques telle que la pandémie Covid 19 en cours.
Les régions frontalières, notamment en Afrique centrale, sont particulièrement touchées par la pandémie : la fermeture des frontières prive les populations frontalières de leurs moyens de subsistance du commerce transfrontalier. Pour soutenir cette lutte dans les régions frontalières, l’Union européenne et l’Allemagne, sous la bannière « Equipe Europe », ont intensifié leur soutien au « Programme Frontières » de la CEEAC. Dans ce cadre stratégique, afin d’assurer le bon déroulement des processus de détection et dépistage des cas aux frontières, les capacités du personnel local seront renforcées en matière de lutte contre la propagation de la pandémie aux postes frontières. Cela contribuera à une réouverture davantage sécurisée des zones frontalières.
Face à la pandémie du COVID-19, le projet de l’UE pour un « Transport plus sûr des marchandises dangereuses par route et par voie ferrée dans la région de la Façade atlantique africaine » (SECTRANS AAF), mis en œuvre par Expertise France, met à disposition de tous les pays partenaires francophones un module d’apprentissage à distance visant à lutter contre la pandémie COVID-19. L’objectif était de transmettre aux bénéficiaires les bonnes pratiques en matière de prévention, gestion et de mitigation liées au risque biologique.
Pour terminer sur ce point, je rappellerai qu’au niveau du continent africain, l’équipe Europe a subventionné à hauteur de 10 millions d’euros la mise en œuvre de la stratégie continentale commune africaine pour l’épidémie de COVID-19 auprès du Centre Africain pour la prévention et le contrôle des maladies.
Ce financement permettra de renforcer les systèmes de santé et de répondre aux besoins immédiats résultant de la pandémie.
Au Gabon en particulier, l’UE a mobilisé rapidement un appui financier au Centre Hospitalier Jeanne Ebori pour contribuer aux actions urgentes de riposte au COVID19.
Cet appui sera complémenté par la fourniture d’équipements au personnel du système national de santé pour leur protection. L’Equipe Europe a également lancé avec le Ministère de la Santé et le Ministère de l’Economie et de la Relance, la campagne de sensibilisation
« COVID19OUT! » dont la championne internationale de basket-ball Géraldine ROBERT est l’égérie en qualité d’Ambassadrice de bonne volonté de l’Union européenne au Gabon. L’objectif de cette campagne est de promouvoir la prévention de la pandémie auprès du grand public. En outre, nous avons pu mobiliser rapidement des fonds pour appuyer des actions mises en œuvre par la société civile, contribuant aux besoins à moyen terme résultant de la pandémie, par le biais d’actions des institutions sociales visant les plus vulnérables et aussi des activités génératrices de revenus pour les aider à faire face aux impacts de la crise socioéconomique.
L’ensemble des appuis cités à la société civile totalise 1,8 millions d’euros.
Mediaposte : On vous voit sur le terrain de l’environnement, quelle est la vision de l’UE dans ce secteur qui va mal au Gabon et quels sont les mécanismes préconisés pour lutter contre la destruction de la mangrove ?
Rosario BENTO PAIS : L’environnement est à la fois une des plus grandes priorités de l’Union européenne, une priorité du Gouvernement gabonais mais aussi un cheval de bataille personnel ! L’UE soutient le pays depuis près de 30 ans avec les différentes phases du programme ECOFAC.
Le Gabon a pris d’importants engagements en matière de défense de l’environnement et de lutte contre le réchauffement climatique.
L’UE continuera à appuyer le Gabon à travers la future programmation, où nous proposons d’accompagner le Gouvernement dans sa stratégie d’économie verte, une transition économique vitale pour le Gabon. Nous souhaitons non seulement aider à protéger la biodiversité sur terre mais aussi dans les territoires marins, y compris pour les mangroves, qui je vous le rappelle, ont des fonctions écologiques essentielles, et contribuent à protéger les côtes contre l’érosion.
Le changement climatique et la pollution ont accéléré la destruction de la biodiversité (faune et flore) qui a besoin d’être davantage préservée pour les générations futures. Le Gabon a une biodiversité et des caractéristiques environnementales uniques au monde. Le territoire gabonais est couvert à 85% par la forêt ce qui fait du Gabon le 2eme poumon de la planète et donc il y a un intérêt international à le protéger.
Mediaposte : Aujourd’hui en termes d’infrastructures, le bassin versant de Nzeng-Ayong est le seul projet financé par l’UE au Gabon, cet œuvre est réalisé à 90% ce qui améliore considérablement les conditions de vies des habitants de ce quartier, toujours est-il que les populations de ce quartier se plaignent du traitement en aval sur le linéaire, échangeur de nouvelle-cité-bras de mer. Pouvez-vous nous donner votre point de vue sur ce dossier ?
Rosario BENTO PAIS : Je suis très contente de voir que ce projet approche de sa fin malgré les difficultés rencontrées. Lorsque l’UE a pris la décision avec le Gouvernement du Gabon de soutenir le secteur de l’assainissement, le choix a été porté sur le bassin versant de Nzeng-Ayong, l’un des plus grands quartiers de Libreville avec un impact considérable pour le pays et la population.
Ce financement de l’UE d’environ 12 M EUR avec un co-financement important de l’État gabonais vise à améliorer les conditions de vie des populations autour de cette zone surtout en termes de sécurité des personnes (protection contre les noyades), de santé publique (protection contre les maladies d’origine hydrique ou transmises par les moustiques) ou de diminution des dégâts matériels sur les habitations, les équipements collectifs et les biens privés.
L’UE a également voulu intégrer des composantes d’aménagement des abords du canal et des mesures d’accompagnement social, faisant de ce projet un pilote dans les approches du secteur. La réalisation de ce projet devrait s’achever dans la première moitié de cette année.
Une extension des aménagements du bassin versant de Nzeng-Ayong reste néanmoins possible en identifiant une autre source de financement, soit par l’État gabonais soit par un autre bailleur de fonds.
Dans le cadre de la nouvelle programmation entre l’UE et le Gabon pour la période 2021-2027 et le nouveau cadre budgétaire de l’UE, la question du financement des infrastructures prioritaires pour le Gabon pourra faire l’objet d’un examen de la part des institutions financières de l’UE, notamment la Banque Européenne d’Investissement (BEI) qui prévoit de prioriser des actions en faveur du climat et de la durabilité environnementale notamment sur les questions des déchets et eaux usées.
Mediaposte : L’on parle de l’après Cotonou, pouvez-vous nous partager votre vision sur cette nouvelle coopération ?
Rosario BENTO PAIS : Les négociations post-Cotonou lancées en septembre 2018 en marge de l’Assemblée générale des Nations unies avaient pour objectif de parvenir à un accord sur un nouveau traité succédant à l’accord de Cotonou.
Le nouvel accord de partenariat se compose d’une « base commune », qui expose les valeurs et les principes unissant les pays concernés et précisant les secteurs stratégiques prioritaires de collaboration entre les 2 parties : 1) Les droits de l’homme, la démocratie et la gouvernance, 2) La paix et la sécurité, 3) Le développement humain et social, 4) La viabilité environnementale et le changement climatique, 5) La croissance et le développement économiques durables et inclusifs, et 6) la migration et la mobilité. Le nouvel accord de partenariat associe cette base commune à trois protocoles régionaux clés axés sur l’action (Afrique, Caraïbes, Pacifique), avec un accent sur les besoins de chaque région.
Cela permettra d’adopter une approche régionale inédite et mieux adaptée aux besoins de chaque région. Une gouvernance propre aux protocoles régionaux sera appliquée pour gérer et piloter les relations entre l’UE et les différentes régions concernées, notamment à travers des commissions parlementaires conjointes.
Il y aura également un cadre global commun UE- l’Organisation des États d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique (OEACP), avec une forte participation parlementaire. Le 3 décembre 2020, les négociateurs en chef de l’UE et de l’OEACP sont parvenus à un accord politique sur le texte d’un nouvel accord de partenariat succédant à l’accord de Cotonou.
L’accord, qui devra être approuvé, signé et ratifié par les parties, couvrira un grand nombre de secteurs, du développement et de la croissance durable aux droits de l’homme, à la paix et à la sécurité, et sera axé sur une mise en œuvre fondée sur les priorités régionales. Une fois ratifié, l’accord servira de nouveau cadre juridique et règlementera les relations politiques, économiques et en matière de coopération entre l’UE et les 79 membres de l’OEACP pour les vingt prochaines années.
Pour pouvoir entrer en vigueur, l’accord doit être conclu ou ratifié par un nombre minimal de parties, et la date d’effet de l’accord a été annoncée pour le 1er décembre 2021 au plus tard.
Mediaposte : Madame l’ambassadeur dans l’espace que vous couvrez, c’est-à-dire le Gabon, Sao Tomé-et-Principe et la CEEAC, mais plus particulièrement le cas du Gabon l’employabilité des jeunes est une problématique, l’adaptation en terme des formations est importante pouvez-vous nous dire quelle sont les actions ou projets menés par l’UE permettant d’accompagner cette jeunesse afin qu’elle puisse s’insérer professionnellement et puisse trouver un emploi ?
Rosario BENTO PAIS : L’Union européenne a signé le 27 octobre 2019 avec l’Etat gabonais, la Convention de Financement du projet « Cap sur l’autonomisation des jeunes au Gabon ». En phase avec les objectifs de diversification de l’économie du Plan Stratégique Gabon Émergent et de l’Alliance Afrique-Europe pour la croissance et la création d’emplois, et en ligne avec l’objectif de développement durable N°8, ce projet en faveur de la jeunesse défavorisée vise à promouvoir l’emploi.
Grâce à ce financement de 5 M EUR, un dispositif d’aide à la création d’entreprises sera mis en œuvre pour appuyer la diversification de l’économie gabonaise. Il sera donc mis en place à l’échelle nationale, en partenariat avec les services publics compétents et un réseau d’espaces d’incubation, et de pépinières d’entreprises en direction des jeunes économiquement faibles dans le but de les insérer dans le monde du travail par l’emploi et l’auto-emploi.
Ce projet dont le partenaire technique de mise en œuvre est JA GABON, ouvrira de nouvelles perspectives dans le secteur de l’emploi et permettra à des milliers de jeunes Gabonais aujourd’hui sans opportunités économiques d’accéder à des formations adaptées et d’acquérir des compétences les menant vers un emploi décent et répondant aux priorités sectorielles du Gouvernement.
En s’appuyant sur un partenariat public-privé, le projet impliquera un maillage national et multi-acteurs (société civile, pouvoirs publics, entreprises, associations professionnelles, académiques, établissements publics d’enseignement technique et professionnel et universitaire). Un accent particulier sera mis sur l’accès des jeunes femmes au marché de l’emploi.
Ce projet s’est construit autour de l’expérience et des leçons apprises d’interventions antérieures (projets AFOP : projet d’appui à la formation professionnelle et AFIP : projet d’appui à la formation et à l’insertion professionnelle) qui ont permis de former environ 2.500 jeunes déscolarisés et de renforcer l’équipement des centres de formation.
Mediaposte : Votre mot de la fin
Rosario BENTO PAIS : La COVID-19 a été préjudiciable pour la santé, l’économie, et le développement en général, mais j’espère que cette pandémie nous a permis de nous remettre en question pour relever le défi et nous efforcer de mieux faire encore, un défi qui nous oblige aussi à faire différemment. Il faut penser désormais à l’après-Covid, et notamment à une relance verte, avec la création d’emplois durables et verts.
Propos recueillis par Pierre BOUTAMBA