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vendredi, 22 novembre 2024

Menace sur les mangroves du grand Libreville : pressions anthropiques et nécessité de protection.

Les mangroves ont toujours fait partie du paysage forestier du Gabon, mais leur pérennité tend à être menacée par des facteurs divers dans le pays. D’Akanda à Libreville avec les mangroves de l’embouchure d’Ambowe en passant par celles d’Owendo, la situation des mangroves préoccupe, malgré le travail de veille quotidien effectué par le ministère des Eaux et Forêts, les ONGs et les scientifiques.

Pays côtier, les mangroves ont toujours composé avec les autres paysages naturels, les écosystèmes forestiers du Gabon. Du Nord au Sud, on retrouve les mangroves dans cinq grands ensembles : les rives de l’estuaire de Rio Mouni, de la baie de la Mondah, de l’estuaire du Komo, dans le delta de l’Ogooué, sur les berges des lagunes Iguéla, Ndougou et Banio, dans les graus de Mbadinga et Vévi, dans les lacs Sounga et Matségui, ainsi qu’à l’embouchure du fleuve Nyanga.

Cet ensemble grignote à lui seul, une superficie de 1456,2 km² pour une longueur de côtes d’environ 950 km en 2020 selon les estimations du Professeur Joseph Privat Ondo, Maître de Conférences CAMES et Enseignant-Chercheur à l’Université des Sciences et Techniques de Masuku, à Franceville. Cette superficie est cependant en deçà des estimations de l’Agence gabonaise des études et observations spatiales (AGEOS) qui estime la superficie des mangroves gabonaise à 1890 km² en 2015.

A l’échelle nationale, d’après les estimations de cinq chercheurs gabonais, dont un contacté par notre rédaction pour les besoins de cette enquête, Igor Akendegue Aken, les mangroves ont perdu une superficie de 685 km² entre 1980 et 2005 et, 54 km² entre 2000 et 2010. A Libreville (Grand-Libreville) qui constitue le cœur de notre enquête, les pertes sont évaluées à 86,01 km². De manière globale, la mangrove gabonaise a perdu entre 2011 et 2020, l’équivalent de 6,5 % de sa superficie.

« Cette perte est due à des facteurs globaux rencontrés par l’ensemble des mangroves du monde, mais également à des facteurs locaux inhérents aux spécificités locales », soutient le Professeur Joseph Privat Ondo, Maître de Conférences CAMES et Enseignant-Chercheur à l’Université des Sciences et Techniques de Masuku, à Franceville.

Facteurs de destruction des mangroves du Grand-Libreville

Les mangroves jouent un rôle prépondérant dans l’équilibre des écosystèmes forestiers côtiers avec un impact direct sur la vie côtière que l’on soit au Gabon ou ailleurs. Selon le Dr Igor Akendengue Aken, plus de « 75% des espèces halieutiques commercialisées en zone tropicale ont passé une partie de leur vie dans la mangrove. » C’est dire combien le rapport entre la vie côtière et l’existence de ces écosystèmes côtiers est très tangible. En effet, soutient le chercheur, ce rapport tient du fait que la mangrove est le lieu par excellence de production et de développement de la faune aquatique, de la faune terrestre et de l’avifaune.

C’est selon lui, une végétation composée d’arbres et d’arbustes amphibies, qui occupent la zone intertidale des littoraux tropicaux et subtropicaux. De même, renchérit-t-il, c’est le lieu par excellence de formation édaphique halophile dominée par les palétuviers. Dans ces espaces, subsistent des interdépendances qui déterminent l’équilibre écologique de ces milieux naturels.  D’abord, selon le Chercheur, avec les récifs coralliens qui déterminent leur développement, car elle en a besoin pour se développer.

Ensuite, pour que la mangrove subsiste, elle a besoin d’une eau calme sans houle et peu profonde. « Les coraux agissent en amont comme une protection, car ils absorbent le choc des vagues. Sans coraux, pas de mangroves, et sans mangroves, il y aurait des problèmes d’érosion de côtes, ce qui mettrait la jungle en péril et ainsi de suite », ajoute-t-il.

Au Gabon, de nombreux facteurs impactent le maintien des écosystèmes de mangroves. Parmi les facteurs à l’origine de la dégradation de ces écosystèmes observés durant notre enquête, on note l’expansion urbaine du Grand-Libreville, l’objet de notre enquête, l’urbanisation anarchique, la construction donc, la spéculation foncière, la pêcherie et l’activité de fumage de poisson, le dépotage des ordures, la déforestation avec la coupe des palétuviers pour les besoins domestiques et d’espaces, la faiblesse du cadre réglementaire et le laisser-faire de la part des autorités.

« La mangrove côtière de la commune de Libreville a subi des dégradations importantes du fait d’une pollution alarmante. Il y a des zones industrielles telles qu’Owendo, Baracouda, Oloumi, etc. qui ont été construites sur des zones de mangroves. Avec l’accroissement de la population de la ville, il y a une forte pression anthropique sur la zone côtière de Libreville, entraînant ainsi un véritable problème de pollution », explique le Professeur Joseph Privat Ondo. Pour ce dernier, « cela peut s’expliquer par le fait que les zones de mangroves sont très proches de grandes villes du pays à l’instar de Libreville ».

Ce que conforte les quelques ONGs que nous avons contactées dans le cadre de cette enquête. C’est le cas de l’ONG Plurmea et d’ACDL dont les activités de terrain sont focalisées sur la surveillance des mangroves dans le Grand-Libreville. Que l’on soit du côté des scientifiques ou des ONGs, visiblement les mêmes causes produisent les mêmes effets quant à la dégradation des mangroves. Sur le terrain, les manifestations de ces causes n’échappent pas à l’œil du simple visiteur.

Inconscience généralisée à Libreville

Si la déforestation à des fins de constructions demeure la cause majeure qui menace la disparition des mangroves du Grand-Libreville, l’ensemble des composantes de la société sont presque toutes responsables de cet échec. Autorités, personnes influentes, populations et communautés locales sont toutes responsables du malaise qui frappe depuis quelques années ces espaces géographiques. D’abord par l’inconscience généralisée de leurs actes de pollution, dégradation et destruction des milieux naturels que sont les mangroves. Ensuite, par le fait d’ignorer le cycle écologique qui se joue dans ces écosystèmes et dont ils dépendent. Enfin, par les impacts que ces « moteurs » de la dégradation des écosystèmes des mangroves font peser sur l’équilibre de ces espaces.

A Okala-Angondjé, Lowé et Igoumié par exemple, les occupations du sol sont surtout marquées par la progression du bâti et son empiètement sur la végétation. Du fait de cette progression, selon notre constat conforté par celui du Pr Joseph Privat Ondo, tous les sites ont connu des régressions nettes de mangrove soit : 35,6 hectares à Okala-Angondjé, 46,9 hectares à Lowé et 36,6 hectares à Igoumié, donnant lieu à un taux de déforestation global de 0,8% par an. Les reculs d’origine anthropique y représentent 57% des régressions à Okala-Angondjé, 96% à la rivière Lowé et 78% dans la zone d’Igoumié.

Pour Landry Lignabou, président de Plurméa, une ONG spécialisée dans la conservation des mangroves et autres écosystèmes aquatiques au Gabon, cette destruction des mangroves perdures parce que « le ministère en charge de la protection de l’environnement et les agences dédiées ne font pas leur travail. » « Plusieurs missions ont été effectivement menées sur le terrain mais l’impact de celles-ci jusqu’à aujourd’hui ne se fait pas ressentir. Nous constatons encore pour le regretter que les espaces où les mangroves ont été détruites, les personnes interpellées n’ont fait l’objet d’aucune poursuite », dénonce-t-il.

Pour ce dernier, ce laisser-faire cacherait l’emprise des personnes bien placées dans l’appareil étatique qui rend inefficace toute action visant à lutter contre la destruction des mangroves. Ce que pense à demi voix, les quelques personnes que nous avons rencontrées au Cap-Estérias.

Impacts sur la faune, la flore et les populations

Que l’on soit au Gabon ou ailleurs, l’importance des mangroves n’est plus à démontrer. D’un point de vue écologique, l’abondance des ressources halieutiques dépend de l’état de santé et de l’intégrité des écosystèmes marins et côtiers à l’intérieur desquels s’opèrent des interactions entre les ressources et les écosystèmes. En effet, les mangroves hébergent des organismes qui permettent selon la profondeur, la décomposition dans ces écosystèmes. Sur le plan climatique, les mangroves sont des précieux puits de carbone.

Leur dynamique permet « d’atténuer les changements climatiques ». Sur le plan faunique et floristique, les mangroves hébergent une variété des plantes herbacées et des épiphytes. Dans ces écosystèmes, on retrouve également une faune très diversifiée composée essentiellement de microphages (Flamand rose), des huîtres, crabes, crevettes et poissons de toutes sortes d’animaux aquatiques.

Au Gabon, cette composition biologique a un impact social et économique considérable sur la vie et la pérennité des populations côtières. En puisant la ressource halieutique dans les mangroves et en exploitant ses écosystèmes à des fins d’urbanisation, l’homme précité les malheurs qui s’abattent ces dernières années sur les mangroves. A Libreville, selon les chiffres de l’AGEOS, plus de 70 hectares de mangroves ont été détruites entre 2018 et 2021. Des chiffres qui font de la capitale gabonaise, le bastion de la déforestation des mangroves urbaines.

Ils sont au-dessus de la moyenne mondiale. Ce phénomène qui s’est aggravé selon le constat dressé sur le terrain et les dires des populations, a participé à rendre vulnérable les mangroves et les villes côtières telles qu’Akanda et Libreville, impactant l’équilibre de la faune existante, précipitant les inondations dans les grands quartiers de Libreville et raréfiant la migration des oiseaux migrateurs à l’exemple des flamants Rose. L’insuffisance d’actions décisives face à ces revers contribue à accentuer ces impacts et constituer un frein à la pérennité de ces écosystèmes forestiers.

Mobilisation des ONGs et des scientifiques

Le combat pour la sauvegarde des mangroves n’est pas sans défenseurs au Gabon. Si l’Etat se préoccupe que très peu du devenir de ses écosystèmes, l’implication des ONGs telles que Plurmea, ACDL, Brainforest, Keva Initiative, Les Amis de la Lowé et bien d’autres permet de limiter la destruction de ces espaces naturels. Ces ONGs promeuvent en effet une gestion durable des écosystèmes des mangroves.

« Nous les leaders d’opinion, nous nous battons justement pour faire entendre cette voie. Mais là aussi, on se retrouve buté, parce que des actions juridiques, bien qu’engagées, ne vont malheureusement pas à leur terme. Entre-temps, les mangroves ne font que subir, souffrir et elles crient à l’aide. Que pouvons-nous faire face à un gouvernement qui ignore les cris d’alarme que nous ne cessons d’envoyer ? », fait remarquer Collins Moudouma Jean-François, Défenseur de la mangrove, Leader du Mouvement en Marche pour le Changement, Membre de la Chefferie Traditionnelle et Coutumière Benga.

A côté de ces acteurs, les scientifiques spécialisés sur les questions de Géographie, de Biologie, de Conservation de la nature, d’Ecologie et bien d’autres interpellent eux-aussi constamment sur la destruction des mangroves du Grand-Libreville et sur les dangers que cette activité pourrait avoir sur les villes côtières. Chercheur et ancien coordonnateur scientifique à l’Agence des Parcs Nationaux du Gabon (ANPN), le Dr. Magloire Désiré Mounganga fait partie de ces figures. A côté de lui, il y a Nicaise Rabenkogo, spécialiste en géographie et aménagement de l’espace, par ailleurs chercheur au Cenarest ou encore le Dr.

Igor Akendengue Aken dont les travaux sur la situation des mangroves permettent de mettre en lumière les maux auxquels sont confrontés ces espaces naturels. Qu’il s’agisse des ONGs ou des chercheurs, les actions conjointement posées par ces acteurs contribuent à lutter contre les revers dont souffrent les écosystèmes de mangroves dans le Grand-Libreville. Ce qui permet, dans une moindre mesure, de réduire la pression anthropique sur les écosystèmes de mangroves.

Ce travail a été réalisé grâce à la contribution de la Voix de l’Amérique (VOA) et de l’U.S Agency for Global Media (USAGM).

L’absence d’un interlocuteur du ministère des Eaux et Forêts s’explique par les changements intervenus ces dernières semaines au sommet de l’Etat. Lesquels n’ont pas permis de rencontrer un haut responsable du ministère.

Michaël Moukouangui Moukala

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