La pêche artisanale représente un enjeu économique et social majeur pour les populations qui font de cette activité leur principale source de revenu. La pratique de cette activité n’est cependant pas sans incidence sur l’équilibre des aires marines et les ressources halieutiques. Interview avec Floriane CARDIEC, Coordonnatrice du volet Pêche artisanale au WCS afin de mieux cerner cette activité.
Bonjour Madame. Vous êtes Coordonnatrice du volet Pêche artisanale pour le compte du WCS. En quoi consiste votre activité ?
Madame Floriane CARDIEC : Le projet pêche artisanale de WCS s’insère dans les objectifs globaux de l’ONG, à savoir : (1) la conservation des espèces sensibles et de leurs habitats, (2) l’augmentation des connaissances via la recherche scientifique et (3) la sensibilisation des acteurs et du grand public. Pour ce projet particulier, on parle de conservation pour les espèces menacées (mammifères marins, tortues marines, requins, etc.), mais on parle de gestion durable pour les autres espèces, telles que les poissons consommés au quotidien par les Gabonais. En effet, c’est une ressource commerciale pour le pays et une source de protéines pour la population et là, il s’agit de favoriser l’exploitation durable et raisonnée, pour que les générations futures continuent à manger et vivre des ressources marines.
Concrètement, nous menons des études scientifiques sur les espèces de poissons les plus consommées, telles que la sardine par exemple, pour comprendre les cycles de sa vie et la façon dont les pêcheurs l’exploitent. Si l’on constate que les pêcheurs utilisent une taille de maille trop petite qui attrapent des juvéniles (c’est-à-dire des poissons qui n’ont pas encore eu le temps de se reproduire), nous conseillons aux pêcheurs et au gouvernement d’utiliser une taille de maille plus grande, pour assurer que le stock de cette espèce se régénère. Nous alertons aussi sur les pratiques dangereuses, telles que l’utilisation de filets de 3km de long. D’un autre côté, nous appuyons les pêcheurs à s’organiser en organisations socioprofessionnelles, pour que leur voix soit entendue et pour faciliter la communication avec le gouvernement.
Depuis combien d’années WCS assure-t-elle la coordination de cette activité au Gabon ? Comment se caractérise votre implication dans ce volet et quels sont vos rapports avec les démembrements publics qui ont l’exclusivité de protection des ressources halieutiques au niveau national ?
Madame Floriane CARDIEC : Ce programme existe depuis 2013 et a été créé dans le cadre de l’initiative nationale « Gabon Bleu ». En tant qu’ONG, nous appuyons le gouvernement dans ses objectifs, en fournissant des connaissances supplémentaires sur le milieu et en faisant des recommandations de gestion, qui sont suivies ou pas… Ce qui est sûr, c’est que le secteur a beaucoup évolué ces dernières années avec une gestion gouvernementale plus coordonnée et transparente, à l’écoute des acteurs et de la société civile. Cela a eu un impact sur le comportement des pêcheurs, qui cherchent à être plus en règle et à structurer leurs revendications.
Depuis quelques années, le Gabon, sous l’influence de nombreux partenaires dont le WCS, a renforcé ses aires protégées en se dotant de la plus grande réserve océanique du continent. Comment les activités des pécheurs que vous suivez s’accommodent-t-elles aux exigences de préservation des espèces de la biodiversité marine ?
Madame Floriane CARDIEC : Le Gabon est signataire de la Convention sur la Diversité Biologique (CBD). Un des objectifs des signataires de cette convention internationale est de créer 10% d’aires marines protégées dans chaque pays pour 2020. Le Gabon a donc respecté son engagement et l’a même surpassé, puisque les aires marines protégées créées en 2017 constituent 26% de la Zone Economique Exclusive (c’est l’espace maritime gabonais).
Le processus de création de ces aires s’est fait en consultant les pêcheurs, comme la loi l’impose. Il faut aussi prendre en compte qu’il y a 2 types aires marines protégées : les parcs marins (où toute activité de pêche est interdite) et les réserves aquatiques (où la pêche peut être autorisée par un plan de gestion).
WCS a mené une étude en posant des trackers GPS sur les pirogues de pêche pour connaitre véritablement les zones de pêche des pêcheurs artisans. Grâce à ces cartes et aux autres données (espèces, habitats et espèces sensibles), les aires marines ont été dessinées en faisant des compromis : c’est-à-dire protéger des espaces sensibles au maximum et enlever des zones de pêche au minimum.
Le Gabon dispose de plus de 880 kilomètres de côtes. Vos actions prennent-t-elles en compte cette vaste étendue côtière ou s’articule-t-elles autour des zones bien identifiées de pêche ?
Madame Floriane CARDIEC : Nous menons des actions dans les sites importants pour la pêche artisanale sur toute la côte, c’est-à-dire à Libreville et Port-Gentil, qui rassemble plus de 80% de l’activité des pêcheurs, mais aussi à Cocobeach et Mayumba, qui sont des sites de moindre importance. De façon logique, les pêcheurs se concentrent dans les endroits où il y a une forte demande et où se trouvent les marchés. De la même façon, leur pêche reste très côtière, ce qui réduit leurs frais de carburant. C’est un bon signe, dans le sens où cela montre qu’il y a encore du poisson dans ces zones. Lorsque l’on compare au Sénégal, les pêcheurs vont très au large pour trouver du poisson. Nous tenons vraiment à éviter cette situation où le poisson disparaitrait des côtes gabonaises !
Au niveau local, les pécheurs sont-t-ils assez outillés pour pratiquer une pêche responsable et durable ? Si oui, comment se manifeste cette responsabilité ?
Madame Floriane CARDIEC : Je dirais oui et non. Une des caractéristiques de la pêche artisanale est la diversité des pratiques. Comme je le disais précédemment, il y a des pêcheurs qui utilisent des filets de 3 km et avec parfois des mailles trop petites, ce sont des pratiques non durables. D’un autre côté, d’autres pêcheurs pratiquent déjà une pêche responsable. Je pense particulièrement aux pêcheurs de Jeanne Ebory et du Cap Esterias, qui pratiquent une pêche à la ligne. Chaque pêcheur n’a que 2 lignes à main, avec un hameçon. Ainsi, ils sélectionnent le poisson qu’il pêche (pas de prises accessoires de juvéniles qui ne peuvent pas s’accrocher à l’hameçon) et en plus leur poisson est plus frais (dans un filet, le poisson peut rester mort plusieurs heures) ! C’est une pêche à encourager !
Certes la pêche artisanale fait référence à la pêche de subsistance, bien que quelquefois la prise puisse être vendue. Cette activité, ne menace-t-elle pas la survie de certaines espèces de poisson ? Pire, ne compromets-t-elle pas les écosystèmes côtiers ?
Madame Floriane CARDIEC : Juridiquement, la pêche artisanale et la pêche de subsistance sont 2 choses bien distinctes. De mon point de vue, la pêche de subsistance, qui permet de se nourrir et de vendre un peu de poisson n’est pas un problème. Elle est d’ailleurs tolérée dans les parcs existants. La pêche artisanale est, elle, une véritable activité économique qui fait vivre des familles. Une particularité de la pêche artisanale maritime au Gabon est que le secteur est dominé à 80% par des étrangers d’Afrique de l’Ouest (Nigéria et Bénin). Certains pêcheurs sont installés depuis les années 50 et peuvent être considérés « comme des Gabonais », dans le sens où ils ne vont pas retourner dans leur pays d’origine et ils se soucient donc de l’avenir de leurs enfants au Gabon, qu’ils aient encore du poisson dans 10 ans, 20 ans… Par contre, on peut se demander si les pêcheurs de passage ne pensent qu’au profit économique et pas à l’avenir de la ressource. C’est pourquoi la législation est importante, pour éviter les pratiques destructrices.
Un mot de fin qui vous tient à cœur et qui traduit les difficultés que vous rencontrez sur le terrain ?
Madame Floriane CARDIEC : Je dirais qu’il y a encore beaucoup de travail au niveau de la pêche artisanale : des études à mener pour mieux comprendre :
– l’écologie des espèces,
– les changements dans les pratiques des pêcheurs,
– les filières de vente,
– l’état des stocks des poissons,
– etc.
Avec environ 1200 pirogues sur toute la côte, la surveillance menée par l’état est parfois difficile, faute de moyen. La gestion du secteur devrait se faire de manière collaborative, en impliquant les pêcheurs dans les décisions et dans l’application de la loi.
Source : La Lettre Verte